La livraison du dernier kilomètre en zone rurale : un espace d’innovation pour l’IoT

Benjamin Daix
6 min readMar 1, 2021
Photo by Blake Wheeler on Unsplash

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Si les projets sont légions en ce qui concerne l’innovation de la livraison en ville, jusqu’à la réduire à moins de 20 minutes, c’est beaucoup moins vrai pour les zones rurales. Nous pourrions même assister au creusement d’un fossé, déjà existant, avec d’une part des livraisons quasi instantanées gratuites dans les centres urbains ; et des livraisons payantes avec des délais de plusieurs jours ailleurs.

La livraison du dernier kilomètre est la séquence la plus couteuse de la logistique, qu’elle soit en zone urbaine ou rurale. Les raisons sont différents : congestion des transports dans le premier cas et distances longues et clientèle éclatée dans l’autre.

Commençons par faire un tour d’horizon des systèmes de livraison aujourd’hui utilisés, testés ou en développement :

  • la livraison classique, assuré par un livreur, assisté d’un GPS et d’une tablette connectée
  • la livraison en crowdsourcing assurée par des particuliers, sur le modèle de Uber X (faire des livraisons le week-end pour compléter ses revenus)
  • les lockers, des petits casiers dans lesquels sont déposés les colis. Les destinataires peuvent les ouvrir grâce à un code envoyé par SMS
  • les drones, dont le développement est freiné par des obstacles techniques (temps de vol, zones de livraison dédiées) et normatives ou législatives (autorisation de vol, survol de zones habités)
  • les véhicules semi-autonomes : le véhicule se déplace sans conducteur mais un livreur est présent à bord pour superviser et assurer la relation client
  • les petits robots de livraison (comme Starship), de la taille d’une valise, ils sont adaptés à la livraison dans des zones denses avec peu de circulation (comme un campus universitaire ou un centre ville piétonisé)
  • livraison par des camion porteur de drones : un utilitaire avec ou sans conducteur sert de base mobile à une dizaine de drones.

Quels usages en zones rurales et suburbaines ?

Dans beaucoup de villages français, les boulangeries et épiceries mobiles ont (re)vu le jour. Ils permettent de couvrir une clientèle assez large pour être rentable. Cette logique se rapproche de celle des innovations récentes en matière de livraison du dernier kilomètre, comme les lockers et des véhicules autonomes. Des modes de livraison qui s’ajustent en fonction de la densité de population à couvrir.

Contrairement aux zones urbaines denses, les campagnes offrent des possibilités beaucoup plus réalistes pour des zones dédiées aux drones (couloirs aériens, pads d’atterrissage et et décollage). Les risques d’accident et de collision sont extrêmement réduites.

Déjà en utilisation au Canada, pour relier des îles ou des zones montagneuses, surtout dans le cas de livraison urgentes (médicaments, sang). Le drone traversant des espaces totalement inhabités, le risque qu’il finisse sur la tête de quelqu’un est nul. La livraison est beaucoup plus rapide que par bateau ou véhicule et beaucoup moins cher que par hélicoptère ou avion.

Cela permet aussi une livraison de point à point, avec une infrastructure légère, contrairement à un héliport, un embarcadère ou une piste.

Les habitations en zones rurales étant très majoritairement constituées de maisons individuelles, il est plus simple de tester des solutions de livraison totalement autonomes avec des boites aux lettres individuelles connectées. Des solutions comme what3words, un code de trois mots couvrant des zones de 3x3m, sur toute la planète, permettent de contourner le problème d’absence d’adresse claire. Une habitation individuelle peut indiquer sa propre zone, impossible dans le cas d’appartements à plusieurs étages.

L’utilisation multiple des robots en zone rurale

Le nombre d’habitants en zone rurale ne permet pas d’atteindre un équilibre économique pour y lancer une flotte de robots de livraison par disons Amazon. L’usage doit être partagé avec plusieurs services de la vie quotidienne (pharmacie, boulangerie, épicerie, restaurant) afin d’atteindre le seuil pertinent. Le problème du manque d’habitant est ainsi contourné par une utilisation partagée du robot de livraison.

La question principale est de savoir qui détiendra le robot / drone. Doit-il faire partir de l’équipement de l’intercommunalité ? Mis à disposition payante ou gracieuse des acteurs locaux (commerçants) ? Ou bien s’intégrer dans une logique aaS (as a service) par des opérateurs privés ? Dans cette optique, le modèle économique se rapprocherait de la location de véhicules.

La plupart des solutions pour maintenir un minimum de services dans les zones dépeuplés tournent généralement, en France, autour de deux principes :

  • mobilité (une épicerie mobile qui visite plusieurs villages)
  • concentration (plusieurs communes se rassemblent au sein d’une intercommunalité pour créer des équipements sportifs, une déneigeuse, une déchetterie …).

Dans le futur smart village, le drone de livraison serait donc pas propriété d’Amazon, mais le fruit d’un achat groupé de plusieurs commerce ou même des pouvoirs publics locaux. Le droit à la livraison prendrait les traits d’un service garanti, comme le fut la ligne téléphonique ou l’électricité.

Dans un contexte de vieillissement des populations, ces services de livraison permettraient de faciliter le maintien à domicile, y compris dans des zones reculées.

Les obstacles à ce jour

Le manque de connectivité (les zones blanches), reste un obstacle surtout sur des usages très intensifs en data, comme le sont les véhicules autonomes. Une connection en 4G ou 5G est indispensable.

L’autonomie des batteries restent encore trop limitée pour assurer un service fluide. 30 minutes de vol signifie que le drone ne peut pas se déplacer à plus de 15 minutes maximum (aller et retour) de sa base de recharge. C’est insuffisant dans beaucoup de campagnes.

Même si les achats sur internet sont de plus en plus adoptés par les seniors, ce n’est pas la majeure partie de la clientèle d’Amazon. Or la moyenne d’âge des campagnes est élevé. Même si les solutions techniques sont là, il y a toujours le problème de la demande : peu de clients réalisant des achats en ligne. Cette donnée pourraient changer avec les mouvements d’exode rural inversé, que l’on voit poindre depuis la crise du Covid-19. Ces mouvements sont toutefois concentrés sur les villes moyennes plutôt que des zones très rurales.

Enfin, un autre aspect de la livraison par robot autonome est qu’elle déshumanise un peu plus la relation, supprimant le contact humain. Même si la boîte de médicament arrive vite, le contact avec le pharmacien a disparu.

Un moment historique à saisir

Très bientôt, la livraison instantanée, gratuite, de jour comme de nuit, deviendra la norme dans les grandes villes. Elle sera considérée comme quelque chose de tout à fait ancrée dans les habitues des consommateurs, comme la connection internet haut-débit.

Si ces systèmes de livraison ne trouvent pas d’équivalents en zones rurales, cela viendra s’ajouter aux nombreux facteurs qui démotivent l’installation des familles.

La solution ne peut être que politique et il y a, en Europe et en France, un moment historique à saisir pour privilégier les essais de services de livraison par drone et véhicules autonomes en zones rurales, avant les villes. Les risques d’accident sont moindres, la géographie s’y prête, le temps est à la “néo-ruralisation”.

Il y a une fenêtre d’opportunité de quelques années pour inverser le cercle vicieux à l’oeuvre depuis des décennies : plus de services en ville, exode rural, moins de monde et de demande en campagne et encore moins de services avec des fermeture de commerces.

Ressources:

McKinsey & Company — Parcel delivery, The future of last-mile — September 2016

Delivery Robots or Smart Rural Development — Gunnar Prause, PhD (Taltech) and Ivan Boevsky, PhD (New Bulgarian University)

A propos de l’auteur, Benjamin Daix

J’aide les startups innovantes dans le secteur de l’IoT à créer des stratégies de vente stables et pertinentes, reposant sur le content marketing de niche.

Notre agence : www.dxm-agency.com

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Benjamin Daix

French Marketer specialised in tech and IoT / Based in Warsaw (PL) / dxm-agency.com